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Chronique d’un scandale annoncé : le MJSAC ciblé, les autres oubliés ?

Par la Cellule d’Enquête | LE REFLET

Port-au-Prince, 18 juillet 2025


Mercredi matin, agents et employés du ministère de la Jeunesse, des Sports et de l’Action Civique (MJSAC) ont vu débarquer des enquêteurs de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC). En application d’un mandat judiciaire, les agents agissant en qualité d’officiers de police judiciaire ont procédé à une perquisition dans les locaux du ministère, dans le cadre d’une enquête ouverte depuis plus de six mois. L'opération survient à la suite de plusieurs signalements d’irrégularités financières et de suspicion de mauvaise gestion.

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Documents, supports numériques, matériels sensibles… tout a été méthodiquement saisi pour analyse. Au cœur de l’affaire : un coffre-fort contenant 1 225 500 gourdes, découvert sur les lieux. Cette somme serait liée à un décaissement de 50 millions de gourdes, alloué dans le cadre de l’organisation de la fête du drapeau du 18 mai 2025.


Mais cette intervention soulève une série de questions fondamentales. Car le MJSAC n’est pas le seul ministère à avoir reçu des fonds publics pour cette date symbolique. Alors pourquoi est-il, pour l’instant, le seul dans la ligne de mire ?


Fête du drapeau : quand les chiffres ne suffisent plus à convaincre


Selon les informations obtenues par LE REFLET, recoupées auprès de sources internes à l’administration, le ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales aurait, pour les mêmes festivités, bénéficié d’un financement d’au moins 100 millions de gourdes. Soit le double du montant alloué au MJSAC.


Pourtant, à ce jour, aucune intervention de l’ULCC, ni audit public ni mesure de vérification visible ne semble avoir été engagée à l’encontre de cette institution. Plus troublant encore : d’autres ministères ayant également reçu des enveloppes importantes restent jusqu’ici totalement hors du champ d’action des autorités anticorruption.


Ce déséquilibre apparent interroge. Pourquoi concentrer les projecteurs sur le seul MJSAC ? Est-ce le début d’un processus plus large, ou l’expression d’une justice sélective ciblant les plus vulnérables ou les moins protégés politiquement ?


Au cœur du MJSAC : résistance interne et refus d’obéir


L’enquête de LE REFLET permet d’éclairer un autre pan du dossier souvent ignoré dans les premiers récits officiels. D’après des sources internes croisées, la ministre Niola Lynn Sarah Devalis Octavius aurait retourné plusieurs chèques non utilisés, dont le montant global avoisine la somme retrouvée dans le coffre perquisitionné.


Ces chèques, que la ministre aurait refusé de liquider, auraient été liés à des dépenses douteuses imposées par certains cadres du ministère. Selon nos informations, elle aurait fermement refusé de détourner ces fonds malgré de fortes pressions internes. Ce refus aurait non seulement entraîné des tensions, mais pourrait être à l’origine même des dénonciations ayant conduit à l’opération de l’ULCC.


Ce que certains décrivent aujourd’hui comme une affaire de corruption pourrait aussi s’analyser comme un bras de fer entre volonté d’intégrité et jeux d’intérêts internes.


Une pratique courante brandie comme preuve ?


Sur le plan strictement administratif, les pratiques évoquées dans ce dossier ne sont pas nouvelles. L’ULCC elle-même a précisé que l’émission de chèques au nom de personnes physiques dans le cadre de dépenses publiques est une pratique répandue dans l’ensemble de l’administration haïtienne, bien que contestée.


Un enquêteur interrogé par LE REFLET confirme que ce n’est pas le chèque qui pose problème, c’est l’usage qui en est fait. Ce qui nous intéresse, ce sont les justificatifs, les preuves d’exécution, la conformité avec les procédures.


En ce sens, le MJSAC sera appelé à fournir les explications nécessaires sur les méthodes de dépenses et l’origine des sommes retrouvées. Mais à nouveau, une question persiste : si les mêmes pratiques sont courantes dans d'autres ministères, pourquoi un seul est-il visé ?


Deux poids, deux mesures ?


La lutte contre la corruption ne peut être crédible que si elle repose sur la cohérence, l’impartialité et la transparence. En ciblant un seul ministère alors que plusieurs autres ont mobilisé des budgets similaires, voire supérieurs, l’ULCC prend le risque de décrédibiliser ses efforts, aussi légitimes soient-ils.


Le public attend de ses institutions qu’elles agissent avec rigueur, mais aussi avec équité. À ce jour, rien ne justifie que le MJSAC soit isolément pointé du doigt pendant que d’autres continuent d’évoluer sans contrôle apparent.


Un signal fort ou une manœuvre ciblée ?


Si l’objectif est de restaurer la confiance dans la gestion des fonds publics, alors chaque ministère doit faire l’objet d’un examen rigoureux. L’exemple du MJSAC peut être un point de départ, mais il ne peut pas être l’unique épisode de cette prétendue croisade contre la corruption.


À LE REFLET, nous poursuivons notre enquête. Nous suivons les pistes, analysons les documents, interrogeons les silences. Parce que la transparence ne se proclame pas, elle se démontre, dans chaque action, sur chaque ligne budgétaire, à chaque niveau de responsabilité.

 
 
 

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