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Haïti, sous la férule des courtiers du désastre

Haïti ne traverse pas une simple crise : elle vit une dépossession systématique. Depuis plus de deux ans, les routes nationales ne sont plus des voies de communication, mais des couloirs de rançonnement contrôlés par des gangs-milices. Ces groupes armés, véritables gestionnaires du territoire, imposent leur loi à coups de péages illégaux, de violences arbitraires et de terreur quotidienne.

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Les barrages érigés sur les axes stratégiques sont devenus les nouvelles douanes du chaos. Selon Ghada Waly, directrice de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), « les groupes criminels armés ont pris le quasi-contrôle de la capitale, avec environ 90 % de Port-au-Prince sous leur emprise ». Chaque déplacement devient un pari avec la mort. Les citoyens doivent payer en liquide, sous peine de représailles brutales. Le commerce est étranglé, les marchés asphyxiés et des villes entières vivent en état de siège. L’État, lui, demeure spectateur, comme si l’effondrement était devenu doctrine.

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Dans ce contexte, la vie quotidienne est une épreuve. Le riz, aliment de base, atteint des prix dignes de la haute gastronomie. L’eau potable, rare et coûteuse, se transforme en denrée sacrée. L’inflation fait de chaque repas un privilège, de chaque goutte un miracle. Le peuple haïtien, pris en étau entre la faim et la peur, survit dans une économie de la débrouille où la dignité est sans cesse bafouée.


Face à l’insécurité terrestre, le gouvernement a misé sur le transport aérien — à des tarifs prohibitifs. Sunrise Airways, seule compagnie domestique, facture des vols internes parfois plus chers que ceux vers les États-Unis. Si un fonds d’assurance de 11 millions de dollars a été constitué par l’État pour soutenir ce secteur, son président Philippe Bayard a reconnu que ces ressources n’étaient pas accessibles à la compagnie, servant uniquement de réserve en cas de catastrophe. Résultat : une ségrégation sociale assumée. Les élites voyagent, le peuple demeure prisonnier de routes mortelles.


Parallèlement, l’ambassade américaine délocalise les demandes de visa vers Nassau. Mais le Premier ministre bahaméen, Philip “Brave” Davis, a tenu à rappeler que son pays n’était pas un sas migratoire. Cette fermeté contraste avec la docilité des autorités haïtiennes, incapables de défendre leur souveraineté. Là où les Bahamas affirment leur dignité, Haïti s’enfonce dans la soumission.


Le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et les ministères haïtiens ne gouvernent plus : ils négocient. Non pas pour le bien commun, mais pour les faveurs des bailleurs internationaux, dénonce l’ex-député de Quartier-Morin, Hugues Célestin. Fascinées par l’étranger, les élites locales ont troqué leur mémoire historique contre des privilèges personnels. Leur silence face aux massacres, leur absence de vision et leur complicité passive font d’elles les véritables courtiers du désastre.


Membre de la FEMODEK (Federasyon Mouvman Demokratik Katye Moren) et d’ESKANP (Efò ak Solidarité pou Konstruksyon Altènativ Nasyonal Popilè), Hugues Célestin plaide pour un sursaut populaire : un ralliement national fondé sur la solidarité, la mémoire et la dignité. Car, selon lui, il ne s’agit plus de survivre, mais de reconstruire. Non pas avec les béquilles de l’aide internationale, mais avec la force d’un peuple debout.


En somme, Haïti ne peut attendre son salut de l’extérieur. Le renouveau viendra de l’intérieur, porté par une conscience collective qui refuse de ramper. Le projet national, encore en gestation, doit être celui d’une souveraineté retrouvée, d’une insurrection morale contre la médiocrité et la trahison. Quand le peuple renouera avec le souffle de Bois Caïman et l’élan de Dessalines, Haïti se dressera de nouveau, invincible.


Le Reflet

 
 
 

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