Constitution cadenassée : l’article 236 au service du statu quo
- Joel Agoudou
- 29 mai
- 2 min de lecture
Par Joël Agoudou | Le Reflet
Dans son avant-projet de Constitution publié en mai 2025, le comité chargé de rédiger la nouvelle Loi fondamentale propose à l’article 236 une procédure d’amendement qui, loin de favoriser l’évolution démocratique du pays, risque plutôt d’enfermer Haïti dans un immobilisme institutionnel inquiétant. D’un point de vue juridique comme politique, ce dispositif apparaît davantage comme un mécanisme de verrouillage que comme une véritable ouverture à la réforme.

Selon l’article en question, le droit de proposer un amendement est réservé au Pouvoir exécutif — après avis du Conseil constitutionnel — ou au Pouvoir législatif, à la majorité des deux tiers de chaque chambre. Sur le papier, cette exigence vise à garantir un consensus politique fort. Mais dans un pays régulièrement confronté à des crises parlementaires, des sièges vacants prolongés et une représentativité défaillante, cette disposition semble irréaliste et contre-productive.
L’article 236.1 stipule que la déclaration d’amendement doit être faite à l’ouverture de la dernière session ordinaire d’une législature, avec publication immédiate sur tout le territoire. Avant la fin de cette session, l’Assemblée nationale se transforme en Assemblée constituante pour statuer sur le ou les amendements proposés. Une formulation qui entretient la confusion entre une simple modification de la Constitution et une refonte partielle du texte, sans cadre méthodologique clair ni consultation citoyenne.
Pire encore, l’article 236.2 exige la présence des deux tiers des membres de chaque chambre pour que l’Assemblée puisse siéger et délibérer. Un seuil difficilement atteignable dans un Parlement haïtien souvent marqué par l’absentéisme, les blocages politiques et la non-tenue d’élections. En réalité, cette clause pourrait rendre tout amendement impraticable.
L’article 236.3 précise que toute décision doit être prise à la majorité qualifiée des deux tiers des suffrages exprimés. Si cette condition vise à éviter les révisions opportunistes, elle crée également un risque de paralysie institutionnelle : il suffirait d’une minorité stratégique pour faire échouer toute tentative d’évolution constitutionnelle.
Enfin, l’article 236.4 interdit explicitement tout amendement portant atteinte au caractère démocratique et républicain de l’État. Un principe essentiel en théorie, mais flou dans un contexte où les institutions démocratiques peinent à fonctionner et où la souveraineté populaire est trop souvent reléguée au second plan. Sans définition claire ni mécanisme de contrôle, cette clause peut devenir un écran de fumée légitimant des blocages arbitraires.
Au final, l’article 236 — présenté comme une garantie démocratique — pourrait bien se révéler être un outil de conservation du statu quo au profit d’une élite politique déconnectée des aspirations du peuple. Sous couvert de protéger la Constitution, ce texte semble en réalité figer le pouvoir, verrouiller toute réforme sérieuse et marginaliser encore davantage la participation citoyenne.
Dans un pays qui crie sa soif de changement, ce verrou constitutionnel risque de devenir une source supplémentaire de frustration, voire de crise. Haïti mérite une Constitution vivante, ouverte, adaptée à ses réalités sociales et politiques, et non un texte sacralisé qui confisque l’avenir au nom d’une stabilité illusoire.
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